Femmes en Noir de Lyon – 21 septembre 2010

Nous soutenons Ilana Hammerman & les IsraélienNEs qui désobéissent

Un matin du printemps 2010 quatre femmes ont traversé le checkpoint de Betar: Ilana Hammerman (traductrice, éditrice, auteure) et trois jeunes Palestiniennes d’un village de Cisjordanie. Les jeunes filles, Aya, Lin et Yasmin, qui de leur vie n’avaient pas encore connu une seule journée de liberté, soustraite à l’occupation, ont suivi Ilana pour aller se détendre à Tel-Aviv. Elles se sont rendues au musée, au centre commercial et au marché, ont fait trempette dans la mer, mangé des glaces sur un banc de la promenade. Puis, le soir venu, elles ont retraversé le checkpoint pour rentrer chez elles.

Il se trouve que d’après la loi israéliennes, des activités aussi simples et optimistes suffisent à faire de ces quatre femmes des criminelles. Une organisation intitulée “Forum légal pour la terre d’Israël” a demandé au procureur général d’ouvrir une enquête criminelle contre Hammerman pour contravention à la loi qui régit “l’entrée en Israël”, et d’après laquelle quiconque conduit, accueille ou aide en quelque manière que ce soit à l’entrée en Israël d’un-e Palestinien-ne peut être condamné à deux ans de prison ou à une amende.

Par cet acte public de désobéissance civique, Ilana Hammerman pointe l’un des plus élémentaires aspects du régime israélien d’occupation: la loi. Des dizaines de lois et de règlements civils et militaires définissent et dictent dans le moindre détail la vie des Palestiniens vivant dans les Territoires occupés : où aller et comment, comment travailler, où vivre et avec qui partager sa vie.

La plupart de ces règles et règlements contreviennent : au droit international, aux lois fondamentales israéliennes, ainsi qu’à la logique et à l’empathie humaines. Ilana a donc eu raison de choisir de les transgresser. Son action subvertit la légitimité du contrôle continu de millions de personnes par un régime “démocratique” auquel elles n’ont pas part, et rejette la séparation entre Juifs et Palestiniens qui est l’un des fondements du régime d’occupation. C’est un acte de nécessaire défi face à une réalité insupportable.

Si elle est poursuivie en justice, Ilana refusera d’exercer son droit à être défendue par un avocat. Elle souhaite éveiller les consciences et donner lieu à un débat public en Israël et à l’étranger, sur les questions liées : à l’occupation, à l’obéissance aveugle et aux situations où obéir à la loi revient à trahir à la fois sa propre conscience et l’esprit humain.

Je n’ai pas fait cela par provocation inconsidérée,” écrit-elle, “mais après mûre réflexion.
Je ressentais la nécessité de plus en plus pressante, ces dernières années, de soulever certaines questions essentielles et de les soumettre à un débat public de fond dans la société israélienne.”
(article dans Haaretz du 7 mai 2010)

En août 2010, une adhérente de la WILPF (Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté)
en Israël adresse un texte au réseau des FENs et lui dit :

« A distribuer dans le monde entier et aidez-nous à trouver du soutien »
Nous n'obéissons pas : Des femmes dans les pas de Ilana Hammerman

Le vendredi 23 juillet, une douzaine de femmes juives et une douzaine de femmes palestiniennes, un bébé et trois enfants palestiniens ont entrepris un voyage de Cisjordanie, dans six voitures privées. Nous avons traversé plusieurs checkpoints, avons roulé vers la plaine côtière d'Israël, et visité Tel Aviv et Jaffa, ensemble. Nous avons mangé dans un restaurant, nagé dans la mer et joué sur la plage. Nous avons terminé la journée à Jérusalem. La plupart de nos invitées palestiniennes n'avaient jamais vu la mer. La plupart dans toute leur vie n'avait pas prié dans leurs lieux sacrés : elles les ont regardé longuement des collines du Mont Scopus.

Aucune de nos invitées n'avait un permis d'entrée des autorités israéliennes. Nous annonçons ici publiquement que nous avons délibérément violé la Loi d'entrée en Israël. Nous l'avons fait dans la trace de Ilana Hammerman, après que l'état ait déposé une plainte contre elle à la police israélienne. Elle a publié dans Haaretz un article le 7 mai  racontant une semblable excursion.

Nous ne pouvons pas consentir à la légalité d'une « Loi d’entrée en Israël » qui permet à tout Israélien et tout Juif de se déplacer librement dans toutes les régions entre la Méditerranée et le fleuve Jourdain tout en privant les Palestiniens de ces mêmes droits. On ne leur accorde pas la liberté de mouvement dans les territoires occupés, ils ne sont pas admis dans les villes et les cités au-delà de la Ligne verte, où leurs familles, leur nation et leurs traditions sont profondément enracinées.

Elles et nous, toutes des citoyennes ordinaires, avons franchi le pas avec un esprit clair et résolu. De cette manière nous avons eu le privilège d'expérimenter un des plus beaux jours et le plus excitant de notre vie, de rencontrer et lier amitié avec nos courageuses voisines palestiniennes, et ensemble, avec elles, d'être des femmes libres, ne serait-ce qu'un seul jour.

Nous n'avons pas emmené des « terroristes ou des ennemies, mais des êtres humains. Les autorités nous ont séparé de ces femmes par des barrières et des barrages routiers, des lois et des règlements, souvent présentés comme moyen d'assurer notre sécurité. En fait, ces barrières existent seulement pour perpétuer une inimitié mutuelle et le contrôle de terres palestiniennes saisies illégalement contre des conventions internationales et les valeurs de justice et d'humanité.

Ce n'est pas nous qui violons la loi : l'Etat d'Israël la viole depuis des décennies. Ce n'est pas nous (des femmes avec une conscience démocratique) qui avons transgressé : l'Etat d'Israël transgresse, nous manipulant tous dans le vide.

Henry David Thoreau, dans son essai bien connu « La désobéissance civile » (1845) a écrit : « Quand un sixième de la population d'une nation qui a entrepris d'être le refuge de la liberté sont des esclaves, et qu'un pays entier est injustement envahi et conquis par une armée étrangère et soumise à la loi de l'armée, je ne crois qu'il est trop tôt pour des hommes honnêtes de se rebeller et de révolutionner. Ce qui rend ce devoir si urgent est le fait que le pays ainsi envahi n'est pas le nôtre, mais que l'armée d'invasion est la nôtre ».

Ecoutez ces paroles, voyez comme elles décrivent avec pertinence notre situation ici et maintenant ! et faites ce que nous avons fait.

Par ordre alphabétique hébreu : Ilana Hammerman (Jerusalem) ; Annelien Kisch, Ramat Hasharon, Esti Tsal (Jaffa) ; Daphne Banai, Klil Zisapel (Tel Aviv), Michal Pundak Sagie, Herzlia, Nitza Aminov, Irit Gal (Jerusalem) ; Ofra Yeshua-Lyth ; Roni Eilat, Kfar Sava, Ronit Marian-Kadishay, Ramat Hasharon, Ruti Kantor (Tel Aviv)

Extraits d'un texte d'Ilana Hammerman intitulé
« En défense de la dignité et de la liberté »

« Après 43 ans d'occupation, Israël a perdu le droit d'être appelé un état de droit.

« Il n'y a pas longtemps, une fondation s'appelant Le Forum légal pour le pays d'Israël a demandé au procureur général d'ouvrir une enquête pénale contre moi pour avoir violé la Loi d'entrée en Israël parce que j'avais emmené trois jeunes femmes palestiniennes pour une journée de plaisir à Tel Aviv (« S'il y a un ciel » Haaretz Magazine, 7 mai 2010).

[...] Je ne l'ai pas fait par un défi irréfléchi, mais plutôt après y avoir beaucoup pensé. Par une nécessité devenue de plus en plus pressante ces dernières années, pour soulever certaines questions essentielles en vue de discussions publiques en profondeur dans la société israélienne -une discussion qui ne fléchira pas en entendant le mot « loi ». Parce qu'une loi formulée par des autorités politiques ne devrait jamais être sanctifiée nulle part. Pas même dans des régimes qui ont été élus par les votes d'une majorité de ses citoyens.

[...] « Parce que le principe de la démocratie ne s'accorde pas avec une situation dans laquelle +/- sept millions de citoyens qui jouissent du droit d'élections libres peuvent déterminer le sort de terres et de vies de +/- quatre millions de personnes dont les libertés et les droits civils sont refusés en vertu d'un contrôle militaire [Ilana Hammerman interroge :]

« Israël est-il vraiment un état de droit ? Est-ce vraiment une démocratie ? Est-ce vraiment un état dans lequel les droits fondamentaux de la personne « sont fondés sur la reconnaissance de la valeur de l'être humain,le caractère sacré de la vie humaine et le principe que toute personne est libre », comme c'est écrit dans la section d'ouverture de la Loi fondamentale de la dignité humaine et de la liberté ?

« De plus, s'il n'est pas un état démocratique ou s'il n'est pas un état de droit quelle est la ligne rouge au-delà de laquelle nous ne pouvons plus continuer à respecter ses lois et règlements plus longtemps sans trahir notre conscience, qui exige de nous, comme le dit la Loi fondamentale de notre pays « de défendre la dignité humaine et la liberté » -c'est-à-dire la dignité humaine et la liberté de chaque personne, et pas seulement d'une personne juive ou israélienne ? ».